Etre d’Église, être dans l’Église

Qui ne s’est pas posé la question des liens de Jean-Claude avec l’institution, tant notre ami semble n’être pas pleinement « dans le moule » ? Cette impression de liberté (de parole, de geste) rendait les confidences au prêtre ou à l’aumônier plus simples et participait du sentiment que l’air était parfois plus léger à Magnieu que dans d’autres paroisses.

Pourtant, Jean-Claude n’est pas le franc-tireur que beaucoup ont fustigé ou rapidement jugé. Il n’est pas non plus le « mauvais élève » critiquant la règle par habitude ou par rancœur. Ce serait faire peu de cas de sa liberté, une liberté qu’il exerce même pour relire ses relations, jamais simples, jamais univoques, avec la hiérarchie ecclésiale.

La liberté de conquérir la liberté

Pour parler de sa relation à l’institution, Jean-Claude refuse d’emblée les étiquettes, dont celle de franc-tireur et de transgresseur. Trop simple : « La liberté, dit-il, ce n’est pas quelque chose qu’on vous octroie. La liberté, c’est quelque chose que l’on prend ». A ce titre, Jean-Claude avoue ne pas se sentir ficelé par les positions de la hiérarchie.

Très tôt dans son ministère, Jean-Claude a entrepris cette (con)quête de la liberté. Celle-ci passe par des choix, des petites désobéissances, mais aussi la volonté, tenace, essentielle, de ne jamais rendre les armes de l’intelligence. Dès son ordination, il s’interroge sur la liturgie et la place qu’y a gardé le latin. Un jour, avant la fin des travaux de Vatican II, il se fait reprocher par un homme de l’Évêché la trop grande place qu’il accorde au français durant la célébration dominicale. Un détail, lié à l’usage d’une langue, serait-il en mesure d’invalider le contenu d’une messe ? Jean-Claude ne veut y croire.

Le bréviaire, à réciter toutes les heures ? La soumission à cette règle paraît bien étrange, alors même que les religieux, en dehors de leur communauté, en sont dispensés. Cette incohérence n’est-elle, en soi, une raison de se libérer de cette obligation ?

Le paiement d’une messe dite pour untel ou untel, le fait de vivre de ces sacrifices que sont les offices quotidiens ? Jean-Claude ne peut s’y soumettre. La « désobéissance » n’est donc pas seulement une histoire de conscience ou de liberté. Elle se paie et est donc, aussi, une histoire de budget. Pour ne pas « rapiner dans l’holocauste », pour ne pas vivre au « crochet de la messe », Jean-Claude préfère se passer de 16€ par jour, écot donné par l’Église en paiement de la messe quotidienne.

Les ouvrages, les lectures, les réflexions de théologiens ou de prêtres sont d’un soutien évident. Ils aident à ne pas se laisser prendre par des logiques d’obéissance qui abaissent ou compriment l’intelligence et la liberté de conscience. Et de citer Don Lorenzo Milani, curé à Barbiana jusqu’en 1967 : connu pour son engagement auprès des plus pauvres, il sera célèbre pour sa lettre « L’obéissance n’est plus une vertu » qui lui vaudra d’être cité en justice.

Une question de conscience, donc, de liberté conquise mais aussi de réflexion : lutter, vaillamment, « tranquillement », contre le décalage entre ce qui est proclamé et ce qui est réalisé. D’ailleurs, note Jean-Claude, l’Église n’est pas l’institution que l’on aime à imaginer. Si elle indique des directions, si elle donne des consignes, elle est au final bien peu opérationnelle. Contrairement à ce que peuvent imaginer certains paroissiens, il n’y a pas de « rapports d’activité » à rendre, pas de contrôle absolu.

Jean-Claude avoue d’ailleurs que certaines des libertés qui lui sont prêtées n’ont pas de dimension provocatrice. Un exemple ? Jean-Claude, avant la messe du dimanche, annonce souvent lorsqu’il revêt l’aube : « Il faut que j’aille me déguiser ». Cette phrase (entendue comme la preuve d’une grande liberté de parole, comme une provocation en direction de l’institution) est trompeuse. Point de sans gène, point d’incorrection dans cette expression, insiste Jean-Claude. Des textes, des références à des auteurs ayant publié très officiellement peuvent être mobilisés pour justifier une telle tournure de phrase. Un professeur d’histoire de la liturgie employait d’ailleurs le terme de « déguisement », car il permettait de respecter la personnalité de celui qui revêt l’aube : « Ne pas cesser d’être soi-même tout en jouant le rôle d’un autre ». S’il n’y a pas sans gène, s’il n’y a pas provocation, est quand même en jeu une volonté de désacralisation qui peut choquer le paroissien.

Le refus de Jean-Claude de s’entendre appeler Père relève de la même logique : « Déjà, il est dit dans l’Évangile : ‘Ne donnez à personne le titre de Père sur la terre !’. Ensuite, certains y tiennent comme ils tiennent à une sorte de caste sacralisée. »
La tradition ne doit donc pas être rejetée ou bannie par définition, insiste-t-il. Mais la tradition ne peut être synonyme de fidélité à des choses qu’on a toujours faites, à des habitudes bien ancrées et donc non discutables. Et de citer dans un sourire cette citation de Jean XXIII qu’il affectionne particulièrement : « J’aime tellement les traditions que j’en crée ! »

Du sens des traditions et de leur invention…

A Magnieu, la messe est dépouillée le dimanche matin. Jean-Claude passe son aube dans l’Église et accueille les uns et les autres, qui paroissien fidèle, qui « intermittent de la messe », qui pèlerin de passage. Personne ne distribue les rôles, aucun paroissien ne s’octroie la proclamation des écritures. Au moment de la lecture des textes, Jean-Claude dit alors, en regardant les fidèles : « Qui vient nous faire la première lecture ? »  Il y a toujours un volontaire ou un plus hardi pour se lancer. Serait-ce une tradition ? Jean-Claude, comme souvent, répond en rappelant qu’il n’y a, encore une fois, rien de bien révolutionnaire ou de bien nouveau dans ce geste d’ouverture, mais un fondement théologique : l’écriture appartient à tout le monde. « L’écriture n’est pas sainte parce qu’on va l’encenser, parce qu’on ne va pas la toucher. Elle est sainte parce qu’elle est au service de tout le monde ! »

Donner la parole aux laïcs, dans les cérémonies telles que les baptêmes, les mariages ou les enterrements, relève de la même attention : à une institution qui souhaiterait établir une séparation entre ce qui est liturgique et ce qui ne peut l’être, une Église qui serait partisane de dresser des frontières quasi intangibles, Jean-Claude répond convocation de la parole, possibilité de parler de la vie pour porter l’Évangile. Refuser des textes qui ne soient pas d’écriture sainte pour les rites de passage est significatif d’une Église qui se crispe, qui se tend dans un mouvement de peur, qui manque de confiance en l’homme. Or, ces paroles, ces mélanges de genre ne diluent pas le sérieux des rites, ne les rendent pas moins signifiants ou moins profonds.

Comment dès lors s’étonner que Jean-Claude ne soit pas convaincu par de nouveaux prêtres crispés sur des heures d’adoration, sur une « présence réelle » qui peut devenir concurrente d’une présence au monde ? Comment ne pas voir dans son agacement la volonté de proclamer une foi qui ne peut se réduire à des règles ou des gestes ? Ces derniers ne sont-ils pas des paravents permettant de dissimuler la fragilité humaine ou l’ignorance ?

L’élévation de l’hostie pendant l’eucharistie est significative de ces gestes devenus éminemment sacraux, en dépit de leur usage premier. Utilisé avant Vatican II, alors que le prêtre tournait le dos à la nef, ce geste permettait aux paroissiens de voir le pain consacré. De posture « technique », permettant une meilleure compréhension de ce qui était caché à la vue, cette élévation s’est institutionnalisée. Quelle est alors la place pour l’intelligence de la foi ? Quelle est même, pour ceux qui se disent les plus traditionnels, la connaissance des Pères de l’Église et d’une simplicité qui ne saurait être synonyme de simplisme ?

Un rapport avec l’institution en écho d’une formation et d’une mission

Ce rapport avec l’institution et ce qu’elle peut imposer ressemble à un dialogue jamais achevé. Pour Jean-Claude, la formation au séminaire a sans doute été déterminante : Voltaire faisait partie des auteurs proposés par des professeurs décrits comme de bons éducateurs et de bons humanistes. Au Grand séminaire, Michel Mondésert, qui sortait de l’École de Lyon, faisait partie des professeurs. « Il nous a enseigné une Église moins hiérarchique et plus communautaire », explique Jean-Claude. De cette formation, notre ami retient que l’institution est au service de la communion, une communion de gens et non une structure. Citant un théologien belleysan, il ajoute : « L’Église, c’est un peuple, ce sont des gens qui cherchent à s’aimer et qui y mettent assez de créativité et de patience ! »

Les relations avec les Évêques du diocèse de Belley, rarement simples, illustrent des interrogations sur une institution tentée de se couper du peuple. Les anecdotes ne manquent pas pour illustrer ce décalage fréquent entre une vie de prêtre et d’aumônier enraciné dans la cité et des institutionnels parfois peu au fait de réalités très prosaïques. Pour preuve, cette audience avec un Évêque pour demander un budget permettant de faire fonctionner l’aumônerie du lycée de Belley. Le prélat s’étonne et interroge Jean-Claude: « Pourtant, vous ne vous portez pas trop mal ? ». Notre ami, un peu interloqué, répond : « Sans doute parce que le pain est moins cher que la viande… » Surprise de l’Évêque qui semblait ignorer ces petits tracas de comptabilité quotidienne…

Peu sensible aux discours parfois inquiets sur une Église à sauver ou à reconstruire (par la restauration d’une hiérarchie, par la formation de nouveaux prêtes dans des séminaires richement dotés…), Jean-Claude aime à rappeler l’origine de l’expression « souverain pontif ». Elle fait référence à la chute de l’Empire romain et à la fuite des empereurs vers Constantinople : l’Église, seule institution encore debout au moment de l’envahissement de Rome par les « Barbares », se verra léguer un titre honorifique jusque-là réservé aux empereurs.

Les rapports avec les curés de Belley illustrent également des incompréhensions, voire de conceptions différentes de l’Église et de son inscription dans la cité. En butte à des conseils jugés insignifiants ou affligeants (« Alors, abbé, en confession, une seule consigne : communion fréquente, communion fréquente… »), s’indignant d’une pastorale limitée et des différences établies par certains curés entre les catholiques en fonction de leur statut social, Jean-Claude se perçoit rapidement comme un trublion qui perturbe le bel ordonnancement paroissial. Il se rappelle, amusé, cet ancien curé de Belley connu pour ses salutations proportionnellement dosées à la qualité sociale de l’interlocuteur…

Alors, Magnieu fait figure de « petit village gaulois » (la paroisse n’est-elle pas régulièrement oubliée dans le bulletin paroissial quand sont annoncés les horaires de messe ?) et son curé de dernier « prêtre rouge » du diocèse.

Dans ces relations rarement simples, faites d’ignorance ou de sainte indifférence, la mission en aumônerie a sans doute ajouté de la complexité. Une association d’aumôniers, type loi 1901, souhaite s’organiser au niveau national ? Les Évêques sabordent l’organisation qui sera remplacée par une commission épiscopale, centralisée, sous contrôle.

Faire de la communion solennelle le début d’un nouveau cycle de formation pour les jeunes catholiques ? La proposition rencontre rapidement l’opposition des curés, tant cette profession de foi est considérée comme un fleuron de l’éducation de l’enfance, une finale qu’il revient, non à l’aumônerie, mais à la paroisse d’organiser. Jean-Claude se souvient d’ailleurs que le lycée privé Lamartine pouvait disposer de la cathédrale de Belley pour la messe de communion solennelle. Lorsqu’il demandera de pouvoir disposer de cette même cathédrale pour les communions solennelles des lycéens du public, il devra, pour ce faire, trouver un créneau horaire compatible avec des messes qui ne sauraient être décalées ou aménagées pour l’occasion.

Cette situation démontre, selon Jean-Claude, non sa position marginale ou une animosité à son endroit, mais les difficultés à faire cohabiter des réalités différentes et parfois dérangeantes dans l’Église.

Pourquoi ne pas en rire en reprenant un surnom qui lui fut donné par un ami garagiste, le « Druide » ? « Une antiphrase, précise Jean-Claude, pour souligner que je ne prends pas au sérieux le rôle de gestionnaire du sacré… ».

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